Le morceau d’aujourd’hui peut vous surprendre : à l’écoute, ce n’est a priori pas une pièce qu’on pourrait qualifier de « classique », le style est plutôt grossier et de surcroît, ce morceau n’est tiré ni d’un opéra, ni d’une comédie musicale comme en écrirait Leonard Bernstein. Mais c’est un morceau qui mérite qu’on y accorde de l’attention, notamment pour son auteur, Kurt Weill, un compositeur atypique du début du XXe siècle (1900-1950).
Le nom de Weill vous est sans doute familier si vous êtes amateur de littérature allemande, et plus particulièrement de Bertolt Brecht (à lire, si vous ne connaissez pas : La Résistible Ascension d’Arturo Ui). En effet, Brecht et Weill ont mené une collaboration fructueuse, formant un tandem assez singulier dans l’histoire de la musique entre un poète et un compositeur – qui est un tandem différent de compositeur-librettiste ! L’Opéra de quat’sous (Die Dreigroschenoper en allemand) en est le fruit : une « comédie en musique » combinant à la fois génie littéraire et musical. Pour ce qui est de l’aspect musical, il faut dire que Weill a intégré une palette très diverse de genres musicaux. Sans délaisser la musique savante (il est très influencé par l’expressionisme de Schönberg), il consacre le jazz et la musique de cabaret; parallèlement il parodie les airs d’opéra en les affublant d’un masque de ridicule, comme pour démystifier cet art aux yeux du peuple. Lui et Brecht partageaient des idéaux communistes, d’où cette nécessité de faire émerger une critique sociale grâce à l’Opéra de quat’sous.
L’argument de la pièce, malgré de nombreux personnages et des intrigues à tiroir, se résume comme ci : dans le Soho (quartier mal famé de Londres) du début XXe siècle, la guerre fait rage entre deux ennemis jurés, Peachum le « Prince des mendiants » et Macheath dit « Mackie le Surineur » le chef des gangsters. Mais lorsque Polly, la fille de Peachum, tombe amoureuse de Mackie, la voilà jetée dans la rivalité entre deux hommes de sa vie qui désormais l’usent comme un pion pour faire tomber l’autre… L’Opéra de quat’sous fera l’objet d’articles à venir, rendant compte des rebondissements de l’argument qu’il serait trop long de détailler ici.
En attendant, ce morceau est la première chanson de la pièce, « La Complainte de Mackie » (paroles et leur traduction). Les paroles, d’une grande qualité littéraire, se superposent à une musique de cabaret a priori vulgaire… mais qui deviendra plus tard un classique du jazz, chantée par Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, Bobby Darin, ou encore Robbie Williams. Comme quoi l’habit ne fait pas le moine!